La tendance à croire aux images est fondamentale à la vie psychique. Pourtant, les images – notamment violentes – peuvent proposer des modèles, mais elles sont incapables à elles seules d’imposer le désir d’y correspondre. Elles sont le plus souvent recherchées pour leur pouvoir de figurabilité, autant dans le domaine des états du corps et fantasmes archaïques que des émotions de la vie quotidienne parfois difficiles à se représenter.
Les adolescents utilisent spontanément trois moyens complémentaires pour gérer le malaise provoqué chez eux par les images violentes : le langage, les représentations intérieures et les représentations corporelles. Ces trois moyens sont la clé de l’éducation aux images.
Le mot “ virtuel ” a au moins trois définitions possibles : ce qui est potentiel et en devenir, ce qui est présent mais non actualisé à un moment donné, et ce qui exclut le corps et ses émois. Dans tous les cas, le virtuel s’impose comme un fantasme où sont mobilisés à la fois le désir d’être contenu dans l’image, celui d’interagir avec elle, et finalement de troquer sa peau contre la sienne. Mais parfois, les rencontres virtuelles sont aussi utilisées par les adolescents comme des espaces transitionnels à des fins de symbolisation personnelle.
Les espaces virtuels sont particulièrement propices à des usages auto-thérapeutiques, notamment pour les personnalités en souffrance. En même temps, ces espaces favorisent la construction d’une nouvelle culture dans laquelle les jeunes tentent de construire les repères qui leur font défaut dans la vie quotidienne.
Les transformations qui affectent le rapport des jeunes à leur propre image résultent de leur adaptation à deux situations radicalement nouvelles auxquelles ils sont confrontés dès la prime enfance : l’omniprésence des images – notamment celles que leurs parents font d’eux –, et les nouvelles organisations familiales dans lesquelles le désir que l’enfant surprenne est maintenu de plus en plus longtemps. « Être célèbre » est alors perçu comme le moyen privilégié de résoudre en même temps plusieurs désirs et angoisses contradictoires.
L’avatar peut être traité comme un double de soi ou un compagnon, un guide que l’on suit ou un esclave auquel on impose ses ordres. Mais dans tous les cas, son propriétaire est invité à y engager les trois formes complémentaires de la symbolisation : sensori-motrice, imagée et verbale.
Il peut alors incarner un fragment de soi, un personnage qu’on a connu, admiré ou redouté, voire quelqu’un qu’on a imaginé à partir de récits entendus ou d’une légende familiale. Cette exploration peut permettre la construction d’un espace potentiel ou au contraire favorise le déni. Demander à un joueur de parler du choix et de l’histoire de son avatar est un moment essentiel d’une psychothérapie.
Les adolescents joueurs excessifs de jeux vidéo présentent des fonctionnements divers sous-jacents à leur symptomatologie, adolescents pour lesquels un atelier de jeu en groupe associé à un temps de parole semble une thérapie adaptée. L’utilisation de l’objet même du jeu comme médiation thérapeutique offre des possibilités d’émergence des matériaux affectif et perceptif, qu’il sera possible d’élaborer dans un second temps. Un processus de prise de conscience par les jeunes de leur problématique, ainsi que de distanciation avec l’objet s’ensuit. Les interactions permises par le groupe bienveillant relancent le processus identificatoire, notamment chez ceux victimes de violences scolaires. La connaissance des jeux vidéo par au moins l’un des soignants favorise les échanges, participant à la revalorisation narcissique et la relance du processus identificatoire.
L’avatar peut être réduit à une sorte de logo ou enrichi d’un grand nombre de détails personnels. Il fonctionne dans les espaces virtuels pour son possesseur comme une seconde peau, et pour ses interlocuteurs comme un assemblage d’objets partiels. Ni totalement réel, ni totalement imaginaire, l’avatar introduit à un nouvel espace dans lequel l’interlocuteur est à la fois présent et absent d’une façon qui peut engager soit sur le versant de la consolation, soit sur celui de la frustration.
L’auteur reprend la distinction établie par D. W. Winnicott entre trois formes d’activité représentative (rêvasser, rêver et imaginer) et montre qu’elle permet d’établir une typologie des façons de jouer aux jeux vidéo. Ces trois façons de jouer s’opposent à la fois par le mode d’investissement des objets présents sur l’écran et par le mode de relation du joueur à ses objets internes. Ce modèle rompt avec celui de l’addiction tout en fondant une approche clinique et thérapeutique des différentes catégories de joueurs.
Elie Rotenberg a dirigé pendant plusieurs années la Guilde Millenium dans le jeu en réseau World of Warcraft. Cette guilde a longtemps été classée parmi les premières des guildes françaises pour ses combats contre les créatures monstrueuses générées par l’ordinateur (les « boss ») et a même fait partie à certains moments des meilleures du monde. Je l’ai rencontré à la Journée d’études du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) auprès du Premier ministre, organisée le 23 novembre 2010 sur le thème : « Jeux vidéo : Addiction ? Induction ? Régulation ». Au cours de cette journée, que j’étais chargé d’introduire et de conclure, plusieurs chercheurs européens ont été auditionnés, notamment Mark D. Griffiths et Marc Valleur, dont les contributions sont reproduites dans le présent numéro. Nous avons un peu parlé et l’idée de cette interview m’est venue tout de suite. Parallèlement, je lui ai demandé de faire une conférence dans le cadre de mon séminaire à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à Paris. Il est intervenu le 21 septembre 2011 et a parlé du monde de World of Warcraft et de ses joueurs. La vidéo de sa présentation est consultable sur Internet[1].
Il montre ici comment la logique du jeu en réseau est inséparable des processus de socialisation qui y sont à l’œuvre. Il y parle aussi d’addiction et du jeu en réseau comme nouvelle forme de relation d’apprentissage sur le modèle du maître et du compagnon.
Les pratiques vidéo ludiques sur Internet intéressent de plus en plus de thérapeutes, et c’est tant mieux ! La revue Adolescence y a déjà consacré deux numéros : le premier sur le Virtuel (2004, T. 22, n°1) et le second sur Les Avatars (2009, T. 27, n°3), ces créatures de pixels qui nous permettent d’entrer dans les espaces numériques et d’y interagir.
Adolescence, 2012, T. 30, n°1, pp. 1-15.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7