Les situations des mineurs isolés étrangers sont paradigmatiques des difficultés que les professionnels peuvent traverser lorsque les parents sont absents. Le travail clinique requiert précisément de faire exister les parents dans le récit, en nous basant sur la capacité du jeune à se narrer pour construire une adolescence métissée entre deux mondes. Nous illustrons ces propos par deux vignettes cliniques issues de consultations individuelles dans une Maison des Adolescents, en présence d’un interprète.
À travers quelques statistiques, l’article présente dans un premier temps les composantes socio-économiques et sociales des harragas, ces jeunes migrants originaires du Maghreb qui tentent de rejoindre les côtes européennes. Dans un second temps, l’étude de leur famille et de leur environnement cherche à identifier les facteurs qui interviennent dans la production de ces parcours individuels, en insistant sur les notions de prise de risque et de quête de soi.
Les projets des mineurs isolés étrangers sont au carrefour de l’imaginaire migratoire, du rêve d’avenir personnel ou familial et du projet personnalisé co-construit avec les éducateurs. Bien souvent, ceux-ci s’opposent dans une pratique où l’adaptation à la réalité doit se faire en renonçant aux rêves considérés comme « utopiques ». Basé sur une recherche anthropologique auprès d’une vingtaine de jeunes mineurs isolés étrangers (MIE) pris en charge en Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS) en Aquitaine et en s’aidant du concept d’espace potentiel théorisé par D. W. Winnicott, cet article propose de penser différemment la construction du projet chez ces jeunes en considérant leurs rêves d’avenir comme de possibles leviers d’accompagnement.
Si les parcours des jeunes isolés étrangers sont variés et leurs histoires toujours singulières, ces adolescents présentent en psychopathologie clinique des problématiques communes. Une proportion non négligeable de ces jeunes présenterait une symptomatologie clinique de transe ou de possession, appelée DTD (dissociative transe disorder) dans le DSM IV. Les symptômes de transe et de possession sont probablement sous-évalués dans les pays occidentaux du fait de biais culturels et d’une connaissance insuffisante des troubles dissociatifs. Les patients présentant ces symptômes sont souvent sujets à des erreurs diagnostiques, notamment à des diagnostics de psychoses ou d’états limites ce qui conduit à des prises en charge pouvant aggraver leurs symptômes. Les fonctions de ces symptômes chez les jeunes isolés étrangers sont multiples et doivent être analysées en tenant compte de cette période particulière du développement qu’est l’adolescence, en particulier des enjeux de construction identitaire. Une meilleure compréhension de l’expérience subjective de ces jeunes nécessite une adaptation du cadre thérapeutique prenant en compte la dimension transculturelle et les enjeux pré-, péri- et post-migratoires. Nous confronterons nos hypothèses à une revue de la littérature psychiatrique et à l’étude d’une observation clinique.
Les problématiques des jeunes isolés étrangers que nous recevons dans les Maisons des Adolescents sont complexes et font l’objet de peu de travaux en santé mentale. Ces adolescents doivent traverser seuls la période de construction identitaire qu’est l’adolescence et ont souvent vécu des traumatismes répétés et des deuils multiples. Il paraît donc pertinent d’offrir à ces jeunes un espace, comme celui des consultations transculturelles, qui leur permette de s’appuyer sur leur langue maternelle, leurs représentations culturelles, et qui tienne compte du vécu pré, per et post-migratoire de chaque adolescent pour relancer une dynamique processuelle dans sa construction identitaire.
Adolescence, 2012, T. 30, n°2, pp. 421-432.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7