À partir de plusieurs terrains en Afrique de l’Ouest et Asie du Sud-Est, cet article vise à étager les affects de honte et de haine qui ne manquent pas de s’exaspérer lorsque le sujet, naguère mis en dehors du lien social par des violences sociales et politiques, se retrouve convié à retrouver assise dans les fils d’un dialogue possible au sein duquel se reconfigurent les logiques des légitimités, des affiliations et des filiations.
La question de la haine et de l’adolescence est vue comme un jeu de miroir : d’un côté, la haine que peut ressentir l’adolescent et qui peut être une haine de l’autre comme une haine de soi ; de l’autre côté, la haine dont l’adolescent peut être la cible, la haine contre les adolescents.
La haine est profondément de type narcissique. Elle traduit une défense archaïque, une protection extrême contre la menace d’effondrement psychique et narcissique. Elle peut être inoffensive, ou au contraire agressive et destructive, cherchant à abolir l’altérité. À l’adolescence, le mouvement affectif de haine semble nécessaire à l’endroit des objets parentaux et plus globalement vis-à-vis de l’environnement car l’adolescent a le sentiment d’être « mal regardé », passivé ou féminisé.
Monsieur V. est hospitalisé en psychiatrie et nous l’avons rencontré dans le cadre d’une consultation ouverte dans le service pour accueillir les plaintes corporelles quel qu’en soit le diagnostic. L’événement bouleversant de la vie de Monsieur V., dont le prénom signifie Lavie en français, se déduit de la dévitalisation de dents saines opérée par un dentiste. Dans l’après-coup de cet événement bouleversant, une rencontre fatale avec un homme l’année même où Monsieur V. accède à la paternité d’un fils, ses dires nous mettent sur la voie de ce qui a pu provoquer le conflit psychique et faire échec au refoulement d’une homosexualité irreprésentable pour le sujet tout autant qu’impossible à assumer. Sa passion homosexuelle, méconnue et refoulée, l’a conduit à une déchéance physique et psychique et à des plaintes sinistrosiques constituant un point d’impasse dans une vie sans problèmes jusque-là. Dans la mise en scène de sa parole, ces événements de la rencontre prennent un sens tel qu’ils viennent, en quelque sorte, lui donner de ses nouvelles quant à l’homosexualité évoquée par des paroles paternelles et l’échec de son refoulement.
L’auteur propose un essai sur le négatif lors de la constitution de l’objet amoureux à l’adolescence.
En s’appuyant sur la conception du narcissisme négatif qui révèle l’altération de la valeur fonctionnelle de l’objet, de nombreux exemples cliniques viennent illustrer cette misère d’objet. Situations où l’amour d’objet prend le sens d’un retournement vers soi dans la haine et la honte.
L’amour de transfert, c’est l’amour. La clinique est pourtant différente à l’adolescence et à l’âge adulte. Les différences proviennent vraisemblablement des exigences développementales, notamment celle d’avoir à renoncer à la réalisation des vœux incestueux et parricides qui est à portée de main. Le soi-disant amour de transfert à l’adolescence s’apparente davantage à une passion amoureuse avec tout le risque de s’y perdre.
À la différence de l’agressivité, qui vise à blesser l’autre, la haine s’attaque à l’existence même de l’autre en tant qu’objet différencié. Elle ne doit cependant pas être confondue avec la destructivité dans la mesure où elle est garante d’un lien indéfectible entre patient et thérapeute. Elle est certes difficile à tolérer dans la relation transféro-contre-transférentielle mais elle ne constitue pas pour autant le danger majeur pour la poursuite d’un processus thérapeutique.
En fonction des expériences affectives blessantes et frustrantes rencontrées, les adolescents à risque quitteront le domaine de la scène objectale où l’éprouvé haineux, garant du lien avec l’objet, est encore possible pour glisser, régressivement, dans la destruction du lien objectal et le désinvestissement narcissique. Une partie du travail de l’adolescence se situe dans le glissement qui s’opère entre les polarités de haine et de destructivité. Une prise en charge analytique doit être envisagée pour maintenir ouvertes les possibilités de remaniements.
Le récit clinique est un biais, une voie oblique qui n’a de fonction que celle de servir de repère. Aux travers ou, plus exactement, dans les travers d’une trajectoire d’un jeune homme pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, dans une mise en échec de toute dimension d’insertion sociale et professionnelle, j’essaierai de montrer comment un processus de subjectivation s’est élaboré afin de permettre à ce jeune de reconstruire son présent à l’aune de son passé, de symboliser et de s’approprier ce qui jusqu’alors n’avait été qu’éprouvé. Ce texte est écrit comme un triptyque. Les trois parties peuvent être lues indépendamment l’une de l’autre, et c’est pourtant dans la liaison entre elles que se développe la spécificité du propos que je souhaite soutenir à travers cet article. Chaque partie renvoie à une lecture, à un temps d’élaboration. Elle s’ouvre par une vignette clinique, comme un préambule à la réflexion qui suit. J’aurais pu lier les vignettes en une seule séquence et développer ensuite mon élaboration point par point. J’ai préféré cette (dés)articulation qui répond davantage, selon moi, à la théâtralisation du cas présenté.
Adolescence, 2011, T. 29 n°4, pp. 765-778.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7