L’errance des jeunes est une recherche de la disparition, une manière radicale d’échapper aux contraintes sociales de l’identité, n’être plus personne. Essentiellement urbaine, la ville étant propice à la disparition de soi dans l’anonymat, avec une certaine forme de protection de soi du fait des squats, gares, terrains vagues, jardins publics et autres associations qui procurent une aide provisoire pour l’hébergement et la nourriture, outre leur débrouillardise, leur inventivité dans les marges pour tenir au jour le jour.
La tendance à se reclure dans l’espace familial est une tendance manifeste de l’adolescence. La sortie de l’enfance, avec la « décroyance parentale », se marque par une claustration hostile dans l’enclos de « sa » chambre, au moins jusqu’à l’acte de « déclaustration » soudaine. Le cas d’Alexis, l’un des premiers saints, mérite de baptiser un « complexe » comme paradigme clinique : trouvant le moyen de s’incruster incognito dans la maison du père et menant une double vie, après avait cherché hors des idéaux familiaux un Ailleurs salutaire. Comment ne pas y reconnaître un fantasme majeur de l’adolescence, comme le confirmera le récit kafkaïen de la La Métamorphose ? Il est troublant de le retrouver, au-delà du temps et des cultures, dans le phénomène nommé Hikikomori – « auto-séquestration » des adolescents japonais – réduit à un syndrome, alors qu’il s’éclaire du drame inconscient ici reconstitué.
À partir d’une enquête épidémiologique en population générale scolaire, 450 jeunes de l’enseignement public secondaire qui se décrivent comme fugueurs ont été comparés à 11 734 jeunes qui n’avaient pas fugué.
La fugue est associée à du “ mal-être psychologique ” et à des violences subies et agies ; le fugueur est aussi suicidant, violent, délinquant et il abuse de produits licites comme illicites. Le fugueur cherche de l’aide et consulte, il reste à trouver les prises en charge multifocales face à la diversité des manifestations exprimées : fugue, tentative de suicide, délinquance et abus de produits licites comme illicites.
Les foyers qui accueillent des adolescents des cités sont ici envisagés comme des lieux de contact entre deux cultures – de choc entre deux cultures. Il revient aux éducateurs de créer des liaisons structurelles entre le monde des adolescents et celui de l’éducatif, de travailler à transformer le choc en un entrecroisement de cultures. Ce qui implique un remaniement du cadre institutionnel.
Le placement en foyer est ici envisagé comme une situation proche de la migration. Sans que la pertinence de l’interprétation habituelle des comportements transgressifs des adolescents comme autant de symptômes soit niée, une lecture différente, complémentaire, est ici proposée. Ces comportements sont une tentative qu’opèrent les adolescents pour maintenir leur inscription dans le monde dont ils viennent et, plus généralement, pour régler un conflit de normes.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7