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Antoine Hibon : pour une pédopsychiatrie d’inspiration analytique auprès des adolescents incarcérés

Cet article veut exposer et soutenir une recherche-action conduite depuis deux ans par une équipe pédopsychiatrique d’orientation analytique au « Quartier des mineurs » de la Maison d’arrêt d’Aix-en-Provence (effectif théorique de 33 adolescents). Cette équipe estime avoir réuni des éléments significatifs permettant d’énoncer qu’il est possible de nouer une relation à potentiel thérapeutique avec la quasi-totalité des adolescents incarcérés. Elle pense qu’une telle démarche requiert une méthodologie déontologique-technique déterminée articulée sur l’indépendance du Sanitaire par rapport au Complexe judiciaire-pénitentiaire.

Si l’on se réfère aux histoires le plus souvent fracturées de ces adolescents, à leurs troubles de la subjectivation, aux dangers qu’ils courent et font courir à autrui, à leur réticence à rencontrer des psychistes en dehors du contexte carcéral, on peut également lire cet article dans une dimension de Santé publique.

L’auteur décrit le cadre matériel d’exercice de l’équipe. Les entretiens se font sur les lieux même de la détention, au plus près des adolescents et des autres adultes intervenants (surveillants et enseignants en particulier). Ce cadre contribue à installer un transfert de base groupal des adolescents sur les psychistes, et un contre-transfert de base des psychistes sur les adolescents délinquants. Contradictoirement, cette proximité facilitant les rencontres, les rend également difficiles au plan de leur faisabilité, en excitant les différents niveaux de conflictualité entre l’équipe pédopsychiatrique et l’administration Pénitentiaire qui peuvent être repérés et progressivement traités.

Ce cadre matériel est le support d’une approche extensive (quasi-totalité) des adolescents incarcérés. Cette possibilité d’une approche extensive, et son potentiel thérapeutique, a été vérifiée par l’équipe à une certaine étape de la recherche. Il en est rendu compte par deux vignettes cliniques emblématiques en ce qu’elles concernent des adolescents de contacts et de fonctionnements psychiques particulièrement difficiles d’accès. Deux limites de l’approche extensive sont étudiées. La principale est mise en rapport avec la théorie winnicottienne de « la tendance antisociale » : les hausses de la démographie du « Quartier des mineurs » (au-delà d’un seuil de 20-25 adolescents) conduisent à un certain abandon d’adolescents qui bénéficiaient d’une offre de soins suffisamment continue, et cet abandon peut entraîner un rebond antisocial. Ainsi l’équipe doit-elle s’efforcer à fonctionner en dessous de qu’elle sait être possible et souhaitable, dans l’attente que des moyens supplémentaires lui soient donnés par des autorités de Tutelle qui ne sont pas à l’écoute.

L’étonnante ouverture à l’autre des adolescents incarcérés qui ont la plupart du temps refusé farouchement de rencontrer des psychistes en milieu ouvert, est éclairée par ce que l’auteur appelle « le versant soignant de la prison ». Ce versant soignant est décliné selon un modèle métapsychologique où les items s’enchaînent en un idéaltype : réintroduction de la dimension du Réel par l’arrestation-incarcération ; confrontation à une force étatique inébranlable pare-excitante externe ; diminution de la culpabilité inconsciente par l’expérience vécue de la sanction ; triangulation de fait par la Justice et l’administration Pénitentiaire de la relation mère-fils ; restauration des carences et des maltraitances par la face positive de la surveillance et de l’autorité. Une série de vignettes cliniques vient appuyer chacun des items. Une vignette montre la limite absolue du modèle, celle où la prison n’est pas tolérée, essentiellement du fait d’un sentiment de perte insoutenable. Les limites relatives (pouvant faire l’objet de réformes) du modèle sont évoquées. Le tableau catastrophiste des abolitionnistes (opposants à la prison pour les mineurs) est récusé au nom de l’expérience globale qu’a l’équipe des vécus et des évolutions des adolescents incarcérés.

L’exposé de la méthodologie déontologique-technique de l’équipe est précédé d’une analyse serrée des textes sanitaires, pénitentiaires et de la Protection judiciaire de la jeunesse, concernant ce qui est communément appelé la pluridisciplinarité dans les « Quartiers mineurs ». L’auteur établit que ces textes et les pratiques, en réalité monodisciplinaires, qui en découlent sont anti-déontologiques et anti-subjectifs. Il expose l’intérêt subjectalisant d’une méthode qui offre à l’adolescent un haut niveau de garantie de la confidentialité des entretiens, et son implication véritable dans d’éventuels contacts de l’équipe pédopsychiatrique avec ceux qui interviennent également auprès de lui.

L’idée courante de la nécessité de médiateurs indispensables aux psychistes pour aborder ces adolescents, est relativisée. L’équipe croit beaucoup au couple (ou au moins au binôme) thérapeutique qui assure une meilleure assiette transféro-contre-transférentielle que la relation duelle. L’hypothèse centrale est que ce couple fonctionne comme attracteur-réorganisateur des éléments de la « Scène primitive » trop chaotiques ou violents que le patient a dû cliver, voire forclore. Une vignette clinique montre cette technique à l’œuvre sous la focale grossissante de son utilisation selon des modalités particulièrement actives avec un adolescent difficile pour lequel on dispose d’un recul d’un an sur son évolution après son incarcération.

Des perspectives de la recherche-action sont développées. La position de l’équipe est précisée par rapport à la nouvelle donne que constituera la présence d’éducateurs de la « Protection judiciaire de la jeunesse » en continu au « Quartier des mineurs ». La question cruciale des moyens est à nouveau évoquée, en termes de suivi post-pénal indispensable, de formation d’Internes en Psychiatrie, et d’un travail d’étude comparative des approches pédopsychiatriques dans les « Quartiers des mineurs ».

 

Un appareil de notes important donne les principales références théoriques de la démarche, et permet des développements cliniques et métapsychologiques. L’auteur et son équipe sont conscients que les délinquances juvéniles et leurs traitements, sont l’objet de constructions socio-politiques, avec leurs relais médiatiques, qui pèsent d’un poids considérable sur les pratiques. Cet appareil de notes permet également au lecteur de prendre connaissance du contexte, de la tendance actuelle à un « tout carcéral » parfaitement contraire à une approche mesurée qui doit traiter sur le même plan les carences en moyen insupportables de l’activité du milieu ouvert, et l’amélioration des fonctionnements des « Quartiers des mineurs » existants. L’histoire du traitement des délinquances juvéniles a montré que toute embardée dans un sens était régulièrement suivie de démentis.