Les témoignages des joueurs abusifs de jeux vidéo invitent à s’interroger sur la condition humaine : comment se forger une identité et construire un itinéraire dans les « sociétés de l’instant », caractérisées par l’incertitude et l’indétermination ? Le désir de reconnaissance s’accomplit dans de nouvelles structures intersubjectives qui commandent jusqu’au processus d’autonomisation des individus. Point d’orgue de la culture de l’image et de l’interactivité où le corps occupe une position toute particulière – disparu en chair mais aux commandes de l’avatar, corps de pixels – les jeux vidéo, en offrant la possibilité de vivre des expériences avec les autres, apparaissent comme un lieu propice à la fabrique d’identité.
Si les parcours des jeunes isolés étrangers sont variés et leurs histoires toujours singulières, ces adolescents présentent en psychopathologie clinique des problématiques communes. Une proportion non négligeable de ces jeunes présenterait une symptomatologie clinique de transe ou de possession, appelée DTD (dissociative transe disorder) dans le DSM IV. Les symptômes de transe et de possession sont probablement sous-évalués dans les pays occidentaux du fait de biais culturels et d’une connaissance insuffisante des troubles dissociatifs. Les patients présentant ces symptômes sont souvent sujets à des erreurs diagnostiques, notamment à des diagnostics de psychoses ou d’états limites ce qui conduit à des prises en charge pouvant aggraver leurs symptômes. Les fonctions de ces symptômes chez les jeunes isolés étrangers sont multiples et doivent être analysées en tenant compte de cette période particulière du développement qu’est l’adolescence, en particulier des enjeux de construction identitaire. Une meilleure compréhension de l’expérience subjective de ces jeunes nécessite une adaptation du cadre thérapeutique prenant en compte la dimension transculturelle et les enjeux pré-, péri- et post-migratoires. Nous confronterons nos hypothèses à une revue de la littérature psychiatrique et à l’étude d’une observation clinique.
Les enfants et adolescents adoptés dans le cadre d’une adoption internationale portent non seulement le passage d’une filiation à l’autre mais aussi d’un pays, d’une culture à l’autre. Pouvoir donner du sens à ce qui se joue dans l’actuel des interactions familiales impose d’y porter un regard multiple, s’appuyant sur une approche transculturelle pour complexifier la question de l’altérité de l’enfant. Cette lecture se décline en plusieurs axes : l’histoire transgénérationnelle du ou des parents, l’histoire de l’enfant et les conséquences des conditions de vie avant l’adoption, la multiplicité des loyautés et sentiments d’appartenance de l’enfant adopté et les représentations familiales de l’altérité de l’enfant. Ce n’est qu’à travers ce métissage des lectures que pourra être rétablie une vérité psychique au plus près de l’histoire de l’enfant, sans discontinuité entre l’avant et l’après adoption et que pourra être abordée la coexistence d’affiliations multiples de l’enfant adopté à l’étranger sans que celle-ci ne soit vécue comme menaçant le lien de filiation.
Les problématiques des jeunes isolés étrangers que nous recevons dans les Maisons des Adolescents sont complexes et font l’objet de peu de travaux en santé mentale. Ces adolescents doivent traverser seuls la période de construction identitaire qu’est l’adolescence et ont souvent vécu des traumatismes répétés et des deuils multiples. Il paraît donc pertinent d’offrir à ces jeunes un espace, comme celui des consultations transculturelles, qui leur permette de s’appuyer sur leur langue maternelle, leurs représentations culturelles, et qui tienne compte du vécu pré, per et post-migratoire de chaque adolescent pour relancer une dynamique processuelle dans sa construction identitaire.
Adolescence, 2012, T. 30, n°2, pp. 421-432.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7