Partant de deux cas cliniques contrastés, cet article propose une exploration anthropologique des conceptions contemporaines de la jeunesse. Celles-ci sont liées à l’ouverture des lieux d’enfermement et à la valorisation de l’autonomie individuelle. Elles se distribuent de façon inégale selon le milieu social et le genre. Face au péril environnemental, le rabattement des capacités individuelles sur la consommation des ressources et le dualisme entre culture et nature deviennent problématiques.
En référence à nos travaux de recherches psychosociologiques et à plusieurs années d’entretiens réflexifs avec des adolescents, j’analyse comment la cité, espace de vie quotidienne et d’appartenance, constitue à la fois un lieu de refuge et un risque de fixation. Face à la stigmatisation, le groupe de pairs entre adolescents accueille et protège ; il représente aussi un risque d’enfermement à la fois psychique et de survie concrète. Sortir de la cité nécessite des démarches importantes faites d’échecs et de réussites. Tous quittent cette situation d’adolescents, les cheminements sont multiples, la référence à l’Islam en est de plus en plus une des modalités.
Dans cet article, nous visons à résister aux représentations de la jeunesse comme effet ou comme victime, en créant de nouveaux liens entre « jeunesse » et « adolescence ». En effet, ouvrir de nouvelles perspectives, de nouvelles potentialités suppose à la fois d’écouter l’adolescent dans sa singularité de sujet et d’analyser ce qu’il représente comme enjeu sociopolitique pour la société. Cet objectif suppose de nouveaux échanges, de nouvelles coopérations entre acteurs techniciens mais aussi avec l’ensemble de la société.
De façon dominante, les « jeunes des quartiers populaires » représentent pour la société et ses représentants un risque social. Ils sont appréhendés comme une entité globale sur le registre du déficit social ou du danger. Dans cet article, nous montrons comment cette posture des institutions et de leurs représentants a pour effet de mettre à distance l’inquiétude des adultes mais aussi les relations subjectives avec les jeunes. Afin de retrouver une confiance et de créer de nouveaux processus de subjectivation des jeunes, nous proposons, en référence aux travaux menés dans les municipalités, d’ouvrir de nouvelles perspectives de rencontres et d’action, en étayage sur leur désir de reconnaissance et d’avenir partagé.
Dans le contexte contemporain, caractérisé entre autres par la pénurie des chemins tracés vers l’autonomisation, des adolescents rivalisent d’originalité pour avancer en toute harmonie avec leur société de consommation et de l’image. Or, malgré leur absence de résistance, l’impératif d’affirmation de soi leur demande d’investir certaines dimensions de l’existence pour se préserver du sentiment d’hétéronomie. En investissant singulièrement la temporalité, notamment en s’adonnant à des actes de désynchronisation, en créant délibérément des situations d’urgence et en provoquant des expériences symboliques de l’ubiquité, des jeunes redéfinissent leurs rapports aux contraintes temporelles qu’imposent les rythmes de la vie collective. La temporalité apparaît alors comme un matériel de l’autonomie.
Adolescence, 2011, T. 29 n°1, pp. 161-169.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7