L’article envisage la spécificité des modalités de soins des adolescents auteurs de violences sexuelles en soins contraints. Ces cliniques et les formes paradoxales de l’expression subjective qu’elles entraînent impliquent de repenser nos cadres et outils conceptuels pour aménager un environnement thérapeutique. Les cas exposés illustreront comment la pensée entre en résonance avec des vécus d’effondrement, d’annihilation et la possibilité d’amener ces patients à élaborer des expériences psychiques.
Nous questionnerons les fonctions du corps de l’adolescent engagé dans l’agir sexuel violent en nous appuyant sur le cas de Pierre, quinze ans, incarcéré pour des faits de viols. En appui sur la troisième topique de C. Dejours (2003), nous reviendrons sur les premiers temps de la relation à l’objet primaire, puis sur l’après-coup traumatique pubertaire éprouvant le clivage topique entre inconscient refoulé et inconscient proscrit et précipitant les agirs sexuels violents envers et contre le percept.
L’étude française sur les agresseurs sexuels qui s’est déroulée de 1993 à 1996 dans dix-huit Services Médico-Psychologiques Régionaux compare deux cohortes. L’une d’agresseurs sexuels, l’autre d’auteurs de coups et blessures volontaires (« Témoins »). Cette recherche montre que les agresseurs sexuels furent des enfants et adolescents mieux intégrés que les « Témoins » dans les circuits scolaires. Cependant, très tôt des cauchemars reflètent chez eux un sentiment d’insécurité profond ce qui entraîne plus de demandes de consultations psychologiques ou psychiatriques pour troubles du sommeil dans l’enfance et à l’adolescence. Parmi les motifs de consultations (qui sont doubles des « Témoins ») on retrouve déjà des comportements sexuels particuliers et des agressions sexuelles caractérisées. Les relations sadiques sévères et une tendance précoce à la cruauté franche envers les animaux, fussent- ils familiers, sont une caractéristique des agresseurs sexuels. L’autre grande caractéristique est, dans plus d’un cas sur trois, une agression sexuelle avant dix ans, qui sera dans les trois quart des cas multiple ou répétée au cours de l’enfance ou de l’adolescence. Cependant l’exploration des débuts de la vie sexuelle de ces sujets indique qu’un nombre plus important d’entre eux ont été victimes d’agressions sexuelles, par des hommes ou des femmes de leur entourage, sans qu’il soit possible pour eux de repérer ces actes comme des agressions. Cela amène l’auteur à faire l’hypothèse selon laquelle il existe pour de tels sujets une « séduction primaire continue » dont l’acte d’agression, présenté souvent comme une « initiation » serait un aboutissement « logique ». Enfin, cette étude indique que l’acte d’agression sexuelle fonctionne dès l’adolescence comme un comportement anti-dépresseur.
Travail autour d’une clinique d’agressions sexuelles vécues à l’adolescence, dans l’effroi et la sidération suite à l’effraction. À partir d’un retour sur la question de la reviviscence propre au syndrome de répétition traumatique post-traumatique l’accent est mis sur l’hypothèse d’une période de latence traumatique. Le processus traumatique alors prédominant mettrait hors-jeu le travail de réaménagement, de liaison, de symbolisation du sujet.
De telles agressions et leur devenir psychique figé mais actif, caractérisé par le retour de l’identique, peuvent-ils être articulés avec les registres fantasmatiques propres à l’adolescence et à la transformation du corps pubertaire ? Ou avons-nous à faire à deux corps étrangers internes œuvrant pour leur propre compte et attaquant le sujet alors pris entre le marteau et l’enclume ?
Adolescence, T. 31 n°1, pp. 77-86.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7