LE SENSORIEL ADOLESCENCE T. 32 N°4
La revue Adolescence, pour son dernier numéro de l’année 2014, consacre ses pages à la question du sensoriel.
Le recours au sensoriel à l’adolescence peut susciter au moins deux lectures théorico-cliniques. La première tend à considérer l’émergence du sensoriel comme un retour à d’anciennes modalités dans le fonctionnement de l’unité somato-psychique. Elle ne signe pas nécessairement une faillite du système représentationnel, ni même une carence de la fonction de symbolisation ou un déficit du processus d’élaboration psychique, mais elle est toujours envisagée comme une réponse à dominante régressive que le sujet trouverait face aux difficultés rencontrées à l’occasion de la traversée pubertaire.
La deuxième approche engage à considérer le sensoriel en sa qualité spécifique au pubertaire : il existe un rapport inédit au sensoriel, qui ne peut se décliner à travers le rapport à la sensorialité tel qu’il s’établissait précédemment, dès les premiers temps de vie du sujet. Une sensorialité fondamentalement axée sur l’expérience orgasmique et par la question désormais ouverte du génital. Un génital qui ne peut être confondu avec l’accession à la génitalité, mais qui oblige tout sujet à redéfinir les enjeux de la relation à l’autre, dans la réalité externe comme dans son monde interne.
Les défis auxquels l’adolescent est confronté – et qui peuvent se définir aussi comme le nécessaire « tricotage » des fils de trame du génital avec les fils de chaîne de l’infantile – mobilisent ces deux courants du sensoriel au plus fort du processus pubertaire. Ils provoquent l’inscription d’une clinique du corps que nous nous proposons d’interroger à partir de l’étude d’une dialectique, associant à la fois confrontation, conflictualisation, complémentarité et refus, entre sensorialité de liaison et sensorialité de déliaison.
C’est sensible à cette « amphimixie » des sensorialités dans le cadre du processus pubertaire que nous abordons, dans ce numéro, le recours au sensoriel à l’adolescence. Il s’agit de considérer l’étendue d’une œuvre dont la visée fondamentale – ce que l’on a coutume aujourd’hui de convoquer sous l’expression « processus de subjectivation » – ne peut se déclencher et finalement se réaliser qu’ « à travers ce corps, par ce corps » (Cahn, 2013), et par la signification qu’une (re)qualification des sens est à même de produire.
Après un article introductif des coordinateurs de ce numéro et une contribution de Philippe Jeammet sur l’investissement de la sensorialité dans le but d’endiguer le débordement émotionnel toujours vif à l’adolescence, ce volume reprend, dans une première partie, des communications ayant eu lieu lors d’un colloque organisé à Villetaneuse, en janvier dernier. Les contributions de Philippe Givre, Catherine Matha, Jean-Yves Chagnon et Stéphanie Barouh-Cohen articulent toutes l’approche théorique autour du recours à la sensorialité à une situation clinique décrite avec précision. Où l’on peut constater combien le sensoriel est destiné à circuler entre le patient et son thérapeute et donc, si l’on pouvait en douter, à entrer tout entière en jeu dans la dynamique transféro-contre-transférentielle. O. Ouvry, en s’appuyant sur le film Jeune et Jolie de F. Ozon, insiste sur l’émergence d’une jouissance Autre, propre au pubertaire et que la sensorialité viendrait marquer, d’une manière toute spécifique, de son évidente actualité. Les articles de A. Maurin et Ch. Mazars abordent la question du sensoriel à travers des champs cliniques (la place du corps adolescent dans les institutions de l’Education nationale, et les enjeux de l’investissement du slam poésie) qui ouvrent sur le registre de la culture.
Dans une seconde partie, on retrouve une compilation de contributions qui reprennent, dans un maillage serré, questions théoriques et présentations cliniques. V. Boucherat-Hue, avec les enjeux d’une clinique péripsychotique, S. Le Poulichet et l’apparition au décours d’un travail psychothérapique de théories fantastiques articulées à la création d’enveloppes sensorielles paradoxales, C. Lheureux-Davidse en s’appuyant sur la clinique de l’autisme, insistent sur l’importance de la prise en compte du registre du sensoriel dans l’évolution favorable de jeunes patients aux prises avec des troubles identitaires et identificatoires plus ou moins majeurs. L. Branchard et G. Pirlot abordent la question de l’alexithymie en tant qu’elle trouverait dans l’expression sensorielle un possible support à l’élaboration. A. Boisseuil construit son article à travers l’exposition de liaisons sensorielles en tant qu’elles seraient l’expression de temporalités en construction. Enfin, M. Corcos s’engage dans l’étude de la thématique de ce numéro en proposant une lecture clinique, théorique et littéraire, à l’évidente originalité.
Ce numéro se termine par un article hors thème de M. Delorme sur les enjeux de la prescription de psychotropes à l’adolescence et par une analyse comparative entre rêve et bande dessinée, menée par J. Roseman dans le cadre de la rubrique Dehors.
Un numéro, à nouveau très marqué par la clinique, et qui permet d’appréhender la question du sensoriel à l’adolescence hors de toute classification psychopathologie figée.
Vincent CORNALBA