Que signifie initiation dans le vocabulaire de la théologie chrétienne ? Ce mot est-il l’équivalent des rites d’initiation des religions anciennes, dans lesquelles le souci premier est d’insérer les jeunes dans la réalité de la vie sociale adulte ? Le christianisme propose une autre vision de la question : l’initiation ouvre à une vie nouvelle, le Royaume de Dieu et elle s’accomplit par le moyen des sacrements. En affirmant cela, l’Église propose une clef pour évaluer la relation spécifique entre le monde présent (la « nature ») et l’irruption du monde nouveau (le « Royaume de Dieu ») : la nature est signe de la grâce. Rupture autant que nouveauté, l’initiation établit un rapport d’altérité entre les deux domaines, comme un signe est tout entier orienté vers l’altérité de la réalité qu’il a mission de désigner.
Le rite est un agir social programmé et répétitif. Le rituel est un ensemble organisé de gestes et de paroles dans lequel ce qui va parler nous dépasse. Le rite est un agir symbolique qui permet à chacun de se situer comme sujet dans son rapport au monde et à son propre monde. Le sacrement est un point de rencontre entre deux désirs et rejoint les questions sur l’adolescence : désir de Dieu de partager sa vie avec l’homme et désir de l’homme qui se reconnaît rejoint et qui l’atteste par un geste.
Les rites d’initiation concernent le plus souvent l’adolescence. Ils suivent un schème de mort et de renaissance, comportant une épreuve physique. La problématique œdipienne et sa réactivation à l’adolescence en sont une clé d’interprétation. Les rites des sacrements dits de l’initiation chrétienne comportent ce même schème initiatique. La part d’épreuve en est absente, mais se retrouve dans l’existence croyante, dans la mesure où s’y déploie ce qu’inaugurent les sacrements d’initiation. Loin de satisfaire spontanément les attentes infantiles, le cheminement chrétien appelle une profonde transformation du désir, un désillusionnement exigeant. On peut parler à son sujet d’une épreuve initiatique, correspondant au passage, toujours à approfondir, de la croyance infantile à la subjectivité filiale. Cette transformation suit une dynamique analogue à la subjectivation adolescente.
La Confirmation forme avec la Baptême et l’Eucharistie un des trois sacrements de l’initiation chrétienne pour la religion catholique. À travers le cheminement d’une adolescente en psychothérapie, la notion du rite est remise en question dans son articulation avec le processus d’adolescence. D’une part, la Confirmation exerce une fonction symbolique par la référence à l’Esprit Saint avec des gestes et des paroles qui inscrivent le sujet adolescent dans une communauté. Elle marque une évolution dans la foi. Elle permet une certaine appropriation de la subjectivation adolescente dans les questionnements autour de l’identité, du paradoxe mort-vie. Elle favorise la filiation par la différence des générations, elle apporte un étayage par les représentants qui transmettent un héritage, elle propose de nouvelles responsabilités. D’autre part, elle ne prend pas en compte les transformations de la puberté comme intégration du corps sexué dans la différence des sexes et elle semble rester dans le registre de l’idéalisation.
Est-ce que le rite doit obligatoirement s’exhiber, au risque de provoquer ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions et d’entraîner des violences ? Avant de répondre à la question, il faut d’abord rappeler que le rite est une pratique sexuelle au sens où la psychanalyse entend la sexualité. Il est à la sexualité idéale, ce que le coït est à la sexualité génitale, et le plaisir de type oral ou anal à la sexualité prégénitale ou pulsionnelle. C’est pourquoi la pratique symptomatique qui se rapproche le plus du rite collectif et qui est le plus à même de l’éclairer en profondeur, ce n’est pas la pratique obsessionnelle, ou le comportement des masses, c’est la pratique perverse. Les analogies entre elle et le rite sont en effet frappantes, et bien des excès rituels équivalent à des formes de perversion : c’est le cas pour l’exhibitionnisme dont il est tant question aujourd’hui. La façon la plus sûre d’éviter de tels débordements, c’est de pousser à bout la comparaison entre les deux pratiques, et de rendre le rite à sa signification propre qui est d’être une parole enchâssée dans une pratique codifiée.
L’objet de cet article est l’étude du travail de conversion dans la dialectique portée par tout phénomène rituel. L’obligation est faite au sujet de changer, mais sans pour autant oblitérer la décision qui lui revient. L’auteur aborde l’effet de conversion comme une part active à l’égard de laquelle tout sujet confronté au rite est tenu de se prononcer. La conversion se manifeste à travers la recherche d’une autre façon de dire, susceptible de traduire à la fois la correspondance et l’écart existant entre la promesse d’un nouveau statut et le postulat de bases subjectales immuables. Car pour que la conversion permette au rite d’opérer, il faudrait conjointement un effet de chute avec, concurremment, le passage au crible d’un certain rapport à soi-même et au monde.
Après avoir rappelé la définition du rite non seulement du point de vue anthropologique mais aussi psychanalytique et à l’articulation entre ces deux aspects, l’auteur de cet article cherche, d’abord d’une manière générale puis en se rapportant plus particulièrement aux processus adolescents, à faire la distinction entre le rituel et le rite. Il rapproche le premier de la conservation et de la déliaison, alors qu’il situe le second du côté de la dépressivité et de la subjectivation avec un appel à la progression dans un entre-deux temporel. Le rite se présente essentiellement du côté de la fonction symbolique, comme une solution d’attente, une plage de réassurance qui du point de vue dynamique comporte une dimension ludique à travers la volonté de rompre avec des mécanismes répétitifs. Le rite, à la jonction entre temps circulaire et temps linéaire apparaît comme un état « métastable » qui ne cherche pas tant à faire sens qu’à éviter une sortie trop brutale du monde de l’enfance.
Adolescence, 2010, T. 28, n°3, pp. 495-508.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7