De plus en plus d’adolescents, dès le seuil de la puberté, s’engagent dans des conduites morbides d’attaques du corps, notamment à type de scarifications ou de brûlures. Le travail clinique auprès de ces patients confirme la gravité des troubles. Tous ces patients comptent des antécédents de violences sexuelles avérées. La plupart portent les stigmates d’un traumatisme réel de l’enfance. Les autres sont abîmés par les interrelations tissées au sein de familles à forte potentialité incestueuse. L’émergence des éprouvés pubertaires produit des effets cataclysmiques sur la psyché. Le corps entre en vibration et prend le pouvoir comme lieu d’expression privilégié pour tenter de figurer, par l’acte, une problématique psychique non encore élaborable.
Mots clés : Seuil pubertaire, Attaques du corps, Insensé pubertaire, Instance du corps, Inceste psychique, Déliaison, Masochisme mortifère, « Un enfant est battu ».
À partir de deux cas d’adolescentes automutilatrices, les auteurs s’interrogent sur la dimension masochiste des pratiques de scarification. Le masochisme érogène déployé témoigne de l’insuffisance des processus préconscients pour contenir la pression pulsionnelle, par le retournement de la passivité féminine en activité auto-agressive. L’identification à une position féminine liant l’érotisme et le masochisme est réduite à des pratiques d’incorporation de signes indélébiles qui marquent le défaut d’introjection des qualités de l’objet. Ces conduites montrent une hystérisation « impossible » des conflits intrapsychiques, mais indiquent aussi les possibilités de dépassement de cette conflictualité provoquée par l’émergence pubertaire et leur subjectivation.
À partir d’un travail avec une adolescente qui se scarifie les auteurs proposent une lecture des passages à l’acte sur le corps comme tentative, différenciée selon les pratiques, de construire un objet du désir. Les scarifications procèdent à cette opération par la coupure, là où les piercings soutiennent celle-ci par l’excitation pulsionnelle, ce qui traduit un rapport différencié du sujet à l’Autre.
La peau, pour le meilleur ou pour le pire, est un instrument de fabrique de l’identité, de manière ludique à travers tatouages ou piercings, ou de manière plus douloureuse à travers les scarifications. Par le sacrifice d’une parcelle de soi dans la douleur, le sang, l’individu s’efforce de sauver l’essentiel. En s’infligeant une douleur contrôlée, il lutte contre une souffrance infiniment plus lourde. Sauver la forêt implique d’en sacrifier une partie. De même pour continuer à vivre il faut parfois se faire mal afin de lutter contre la détresse.
S’appuyant sur des aspects fondamentaux du processus d’adolescence, l’auteur creuse la question de la transformation des éprouvés de honte à cet âge de la vie, leur désorganisation et leur réorganisation. L’accent est mis sur ce qui contribue au caractère souvent traumatique de la honte et son impact sur le narcissisme du sujet, notamment la passivation face à l’émergence pulsionnelle pubertaire, génitale et prégénitale, ainsi que le remaniement des identifications.
Dans le face à face d’un adolescent et d’un psychanalyste, le corps est un élément du discours mais aussi une donnée sensible et immédiate offerte au regard de l’autre, a fortiori lorsqu’il est question de tatouage, de piercing ou d’automutilation. Dans ces conditions, rester un psychanalyste-sujet implique une réponse indissociable de la construction d’une théorie sur le Corps.
L’automutilation serait un appareil de croyance venant panser la grande difficulté à croire en sa propre construction subjectale. Appareil simple s’il vise à monter des scenari sadomasochistes au modèle hystérique. Plus complexe lorsqu’il remplit une mission fétichique transitoire. Dramatique sont ces conduites dans les effondrements narcissiques pubertaires.
Revue semestrielle de psychanalyse, psychopathologie et sciences humaines, indexée AERES au listing PsycINFO publiée avec le concours du Centre National du Livre et de l’Université de Paris Diderot Paris 7