Le défaut de transmission des valeurs, et notamment celles qui sont liées à la notion d’autorité, est souvent évoqué comme un facteur déterminant de la délinquance des mineurs. C’est sur cette base que les gouvernements successifs ont pris, depuis 1998, des initiatives qui tendent à donner plus de place à la contrainte et à la sanction dans le traitement judiciaire des mineurs délinquants. Cette position heurte les représentations des professionnels de la justice des mineurs qui voient dans cette évolution une remise en cause radicale des valeurs qui leur ont été transmises. À partir de la lecture qu’ils font de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, ils considèrent qu’il s’agit là d’une rupture radicale dans les missions de cette justice spécialisée que ces nouvelles orientations feraient passer d’un modèle protectionnel à un modèle répressif obligeant aux dégagements de valeurs contraires à celles sur lesquelles ils avaient fondé leur engagement professionnel.
Cet article reconsidère cette présentation de la question et cherche à mettre en exergue ce qui fait pourtant transmission et continuité au sein de ce mouvement. Pour ce faire, il procède à une relecture de l’ordonnance et de son exposé des motifs et examine la question en remettant en cause les modèles psychologiques et psychiatriques sur lesquels s’appuient les tenants de la rupture pour la démontrer. Cette relecture fait notamment apparaître que c’est l’évolution des représentations de l’ordonnance, et non cette ordonnance elle-même, qui ont conduit à faire l’impasse sur les dimensions répressives et contraignantes qu’elle contient ; elle fait également apparaître que c’est à partir d’une représentation très limitée du thérapeutique (essentiellement celle d’une clinique limitée au modèle de la psychothérapique individuelle) que s’est forgée la conviction classique que la justice des mineurs souffre d’une influence excessive de la clinique qui s’opposerait à la primauté de « l’impératif éducatif ». C’est donc bien le modèle éducatif de l’aide contrainte qui a toujours été promu par l’ordonnance de 45 contrairement à ce qu’a pu laisser penser la lecture classique qui en a été faite.
En se référant à la dynamique des adolescents difficiles, les auteurs considèrent que le modèle éducatif associant aide et contrainte est celui qui est le plus apte a prendre en compte les besoins éducatif et thérapeutique de ces jeunes. En remettant en cause la rupture que certains mettent en avant, ils défendent l’idée qu’il importe d’asseoir la transmission des valeurs éducatives de la justice des mineurs sur la transmission de ce modèle qui, dans ces conditions, n’exige pas de remettre en cause une tradition clinique valorisée, dès lors qu’elle est elle aussi conduite à adapter son modèle et ses pratiques aux particularités psychopathologiques des adolescents suivis dans ce contexte.
Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 355-374.