Archives de catégorie : Politique et adolescence – 2009 T. 27 n°2

Eric Toubiana : le jeu du saute-camion

« Le jeu du saute-camion » est une des scènes les plus troublantes d’un film de S. Kubrick, Orange mécanique. Le titre de ce film sorti en salle à la fin des années 60 pouvait déjà intriguer. Orange mécanique n’a rien perdu de ce qu’il était en 1969 : un reflet étrangement moderne d’une dystopie de l’humanité. Mieux, Orange mécanique se révèle être plus d’actualité que jamais. Nous y voyons ce malaise psychique non contenu et ne trouvant que les rues de la cité pour pouvoir, non pas dire mais, montrer et agir les impasses dans lesquelles le sujet est enfermé.

Le spectacle de ce film, et plus encore d’une de ses scènes : « Le jeu du saute-camion », permet de percevoir que la notion de risque, celle du Rizikon grec, permet d’élargir plus encore l’analyse métapsychologique du phénomène de l’addiction. Le Risqueur, ou les « risqueurs » seraient ceux qui illustreraient de manière exemplaire la définition freudienne de la pulsion. La retrouvaille de la tension vaut, nous en posons ici l’hypothèse, bien plus que l’assouvissement de la tension, du moins chez les sujets qui se placent dans une position de dépendance aussi mortifère qu’indispensable au maintien d’une homéostasie vitale…

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 487-495.

Christian Mille, Daniel Sibertin-Blanc, Thomas Henniaux : impact et impasses du « politique » dans les institutions soignantes pour adolescents en souffrance

L’incidence croissante parmi les adolescents des troubles du comportement, des conduites à risque, de l’appétence addictive, de la dépression, des gestes suicidaires signe une entrée en force dans la pathologie des liens et de la dépendance. Les politiques ne sont pas aveugles et sourds à cette problématique et à ses enjeux vitaux pour l’avenir de tous. Ils en ont pris conscience depuis plus d’une vingtaine d’années, en faisant de l’adolescence une priorité de santé publique. De nouvelles idées ont ainsi émergé, libérant des espoirs et des initiatives novatrices, mais confrontant aussi à des difficultés et à des échecs. L’expérience d’une Unité de psychiatrie d’adolescent nous montre de façon exemplaire les limites d’une politique « réglementée » en matière de soins psychiques pour adolescents sur un registre « limite ». Les contraintes administratives liées à des réglementations désuètes ou à de nouvelles recommandations censées promouvoir les bonnes pratiques nuisent paradoxalement à leur mise en œuvre. On ne saurait pourtant sous-estimer, la valeur défensive des tâches et du discours administratif, comme le poids de certains courants de pensée dénigrant les fondements psychodynamiques du « soin relationnel ». Le risque pourrait être lié à l’irrésistible montée en puissance du « modèle technocratique » qui se présente comme une nouvelle utopie, ignorante de son inscription dans le courant de pensée « positiviste », et du subtil usage que peuvent en faire les pouvoirs en place. Cependant, à n’en pas douter les « psychistes », par leurs interventions directes et leur « pratique interstitielle » (Roussillon, 1991) devraient garder une place déterminante dans l’institution soignante qui ne saurait se passer de leur vigilance aux « impensés » de la structure, aux passions éphémères qui la traversent comme aux stratagèmes défensifs auxquels elle ne manque pas d’avoir recours.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 469-485.

Bernard Golse : 4 ans après l’expertise collective inserm sur le « trouble des conduites »

Quatre ans après l’expertise collective de l’INSERM sur le « Trouble des conduites » qui avait suscité un vif émoi chez les professionnels, et donné naissance au collectif « Pas de 0 de conduite », la situation actuelle est loin d’être rassurante. La direction générale et les structures de recherche de l’INSERM ont été renouvelées dans un sens peu favorable à la Psychiatrie, et l’expertise collective sur les troubles des apprentissages n’a pas démontré que l’INSERM avait réellement intégré la nécessité de repenser la structure même de ces expertises collectives dans le champ de la santé mentale. On assiste, par ailleurs, aujourd’hui à la relance du dépistage à la crèche des soi-disants futurs délinquants, ainsi qu’à une attaque en règle contre l’école maternelle et les RASED. Tout ce mouvement de biologisation de la pensée menace les plus vulnérables et fait courir de grands risques quant à la place des sciences humaines dans notre culture et dans nos universités.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 461-467.

Béatrice Mabilon-Bonfils : l’adolescent face à la relation d’emprise scolaire : entre adaptations secondaires et arrangements ordinaires

L’article étudie l’hypothèse d’un désir d’emprise au cœur de toute relation pédagogique, et la relation d’emprise, quelle que soit la modalité qu’elle revêt, représente une véritable formation défensive, permettant d’occulter le manque dévoilé par la rencontre de l’autre. De ce scénario, se dégagent des règles communes à toutes les relations d’emprise : l’instrumentalisation de l’autre et l’impossibilité pour celui-ci de rompre le cycle d’échange dans lequel il donne plus qu’il ne prend, la rupture étant construite comme de l’ordre de l’injustifiable et supposant un passage en force, un acte de rébellion ou de violence. Comment les adolescents se maintiennent-ils comme sujets désirants dans l’école ? Comment échappent-ils à la relation d’emprise ? Dans sa relation ambivalente à l’autorité qu’ils construisent, quelles stratégies mettent-ils en œuvre ? Le questionnement articule l’interrogation philosophique et le regard sociologique.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 447-459.

Emmanuel Diet : perspectives critiques sur l’adolescence, l’acculturation scolaire et la politique hypermoderne

Dans le contexte du néo-libéralisme et de l’effondrement des métacadres sociaux, le déni de la différence générationnelle met en crise la transmission culturelle à l’école par l’évitement des conflictualités identificatoires œdipiennes et l’attaque des organisateurs psychiques et culturels. Les souffrances, les violences et transgressions adolescentes sont à comprendre comme les symptômes et les conséquences de l’idéalisation politique de la perversion et de la régression à l’infantile dans le social-historique.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 431-445.

Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli : contribution à l’analyse de la « violence des mineurs ». les affaires traitées par les juges des enfants

Cet article livre les premiers résultats d’une recherche sur dossiers judiciaires réalisée dans une juridiction de la région parisienne, sur les infractions à caractère violent commises par des mineurs. À l’issue de l’exploitation des dossiers traités par les juges des enfants, les auteurs proposent d’abord une typologie de ces violences juvéniles (violences « embrouilles », violences viriles, violences de voisinage, violences intrafamiliales) dont ils rappellent qu’elles se déroulent dans plus de 80% des cas dans le cadre de l’interconnaissance. Ensuite, les auteurs analysent quelques traits marquants du profil et du parcours des mineurs : leurs sexes et âges, leurs situations familiales, leurs lieux de résidence et leurs parcours scolaires. Dans leur conclusion, les auteurs expliquent que cette recherche révèle des violences de basse intensité, qui surviennent dans le cadre de l’interconnaissance, pour les motifs les plus divers et les plus classiques à l’âge adolescent, au terme de conflits qui ne semblent pas nouveaux mais qui sont de plus en plus judiciarisés dans notre société.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 415-429.

Denis Salas, Thierry Baranger : le juge des enfants fait-il encore autorité ?

Les auteurs, après avoir décrit les divers modifications apportées à l’ordonnance du 2 février 1945 qui ont profondément transformé le modèle de la justice des mineurs, analysent la portée de cette remise en cause.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 399-413.

Antoine Hibon : retours sur expériences

Cet article revient sur la recherche-action d’inspiration analytique qui a duré 5 ans, d’une équipe psychiatrique auprès des adolescents incarcérés dans un Quartier des Mineurs. Il donne les éléments des difficultés qualifiables de politiques que la méthodologie déontologique-technique de cette démarche a rencontrées avec la collégialité psychiatrique intervenant en prison, l’Administration pénitentiaire puis la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Il situe à l’intérieur de la crise plus générale des relations Santé-Justice, une certaine tendance au minimalisme psychiatrique auprès des adolescents incarcérés. Il expose au plan de la psychologie sociale des acteurs, les difficultés de l’indépendance du Sanitaire dans les prisons, eu égard aux personnalités difficiles de certains prisonniers, et au versant humaniste de l’Administration pénitentiaire et à la réintégration de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dans les prisons pour mineurs depuis le début du XXe siècle. Il critique les axes principaux de la rhétorique qualifiée de « rhétorique ad hoc » qui soutient aux plans idéologiques et techniques la création de 7 établissements pour mineurs qui représentent des budgets considérables. Enfin, il montre les limites, du fait des caractères structuraux de l’autoritarisme sécuritaire pénitentiaire et de l’action des parquets, de la tentative d’organiser l’incarcération des mineurs sur le modèle d’une Institution médico-sociale.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 383-397.

Daniel Marcelli : le centre éducatif fermé. la théorie est toujours plus belle que la pratique

Si, en théorie un lieu fermé peut avoir un intérêt thérapeutique pour des jeunes déstructurés, violents et délinquants, en pratique pour parvenir à cet objectif des moyens non seulement matériels mais surtout humains considérables sont nécessaires. L’auteur du présent article doute que sur le long cours ces moyens puissent être maintenus, laissant alors des « murs » dont la qualité soignante est plus qu’aléatoire…

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 377-381.

Michel Botbol, Luc-Henry Choquet : éduquer et transmettre. changement et continuité de la transmission dans le contexte de la justice des mineurs

Le défaut de transmission des valeurs, et notamment celles qui sont liées à la notion d’autorité, est souvent évoqué comme un facteur déterminant de la délinquance des mineurs. C’est sur cette base que les gouvernements successifs ont pris, depuis 1998, des initiatives qui tendent à donner plus de place à la contrainte et à la sanction dans le traitement judiciaire des mineurs délinquants. Cette position heurte les représentations des professionnels de la justice des mineurs qui voient dans cette évolution une remise en cause radicale des valeurs qui leur ont été transmises. À partir de la lecture qu’ils font de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, ils considèrent qu’il s’agit là d’une rupture radicale dans les missions de cette justice spécialisée que ces nouvelles orientations feraient passer d’un modèle protectionnel à un modèle répressif obligeant aux dégagements de valeurs contraires à celles sur lesquelles ils avaient fondé leur engagement professionnel.

Cet article reconsidère cette présentation de la question et cherche à mettre en exergue ce qui fait pourtant transmission et continuité au sein de ce mouvement. Pour ce faire, il  procède à une relecture de l’ordonnance et de son exposé des motifs et examine la question en remettant en cause les  modèles psychologiques et psychiatriques sur lesquels s’appuient les tenants de la rupture pour la  démontrer. Cette relecture fait notamment apparaître que c’est l’évolution des représentations de l’ordonnance, et non cette ordonnance elle-même, qui ont conduit à faire l’impasse sur les dimensions répressives et contraignantes qu’elle contient ; elle fait également apparaître que c’est à partir d’une représentation très limitée du thérapeutique (essentiellement celle d’une clinique limitée au modèle de la psychothérapique individuelle) que s’est forgée la conviction classique que la justice des mineurs souffre d’une  influence excessive de la clinique qui s’opposerait à la primauté de « l’impératif éducatif ». C’est donc bien le modèle éducatif de l’aide contrainte qui a toujours été promu par l’ordonnance de 45 contrairement à ce qu’a pu laisser penser la lecture classique qui en a été faite.

En se référant à la dynamique des adolescents difficiles, les auteurs considèrent que le modèle éducatif associant aide et contrainte est celui qui est le plus apte a prendre en compte les besoins éducatif et thérapeutique de ces jeunes. En remettant en cause la rupture que certains mettent en avant, ils défendent l’idée qu’il importe d’asseoir la transmission des valeurs éducatives de la justice des mineurs sur la transmission de ce modèle qui, dans ces conditions, n’exige pas de remettre en cause une tradition clinique valorisée, dès lors qu’elle est elle aussi conduite à adapter son modèle et ses pratiques aux particularités psychopathologiques des adolescents suivis dans ce contexte.

Adolescence, 2009, T. 27, n°2, pp. 355-374.