Archives de catégorie : Mystique et expériences – 2008 T. 26 n°1

Jacques Arènes : psychopathologie du mysticisme et travail du négatif

Si les figures pathologiques du religieux furent, dans les temps passés, issues, d’une part, de la question de la ritualisation excessive (le versant obsessionnel de la religion mis en valeur par Freud) et, d’autre part, de l’hystérisation (le modèle du désir mystique), ne peut-on pas affirmer aujourd’hui que le modèle du religieux est aujourd’hui narcissique ? L’essentiel n’est plus le versant de contrôle (défense contre l’angoisse de mort), de type obsessionnel, du religieux, ou la recherche, sous le signe du manque, de l’objet du désir jamais atteint de la mystique, dans la lignée hystérique, mais une validation toujours inachevée de soi-même, par le biais de la foi, et une lutte corrélative du sujet contre l’angoisse d’abandon et la perte du lien. Dans cette perspective, nous explorons le travail du négatif à l’œuvre dans la mystique postmoderne, dans lequel la performativité du croire navigue entre le vide de l’abandon et les figures de l’espace religieux qu’elle se doit de créer.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 101-116.

Dominique Fessaguet : la mystique du rien

Louise a dix-sept ans, deux fois par semaine, le regard fixé sur un au-delà de ma personne, elle m’égrène les chemins de sa haine : l’ “ abjection ” que sont nourriture, tentation, corps/animalité, féminin. Louise ignore la mort. Elle est entrée dans une quête inlassable du rien, un rien dans la bouche, dans le corps et enfin : le rien. Elle avance fascinée par sa propre emprise dans la découverte de cet “ autre ” espace, l’absolu qu’est le rien et ses moyens d’y accéder. Elle a découvert au décours de la satisfaction hallucinatoire les voies de son rien. Elle mettait en scène la délicatesse et le raffinement de mets en si petites quantités, que là aussi, elle mangeait “ du rien ”. Et c’est ainsi que lui est apparu le rien, et elle a engagé sa montée vers Lui par petites touches, soignant son avancée, dans l’oxymore d’une élation froide.

Le rien, sa “ nuit des sens ” et en même temps son chemin de lumière, n’est pas sans évoquer la quête mystique d’un saint Jean de la Croix et je mettrai en perspective cette “ nuit obscure ” avec le trajet de Louise.

Il s’agira d’examiner les chemins, les impasses, le travail de liaison/déliaison, de désintrication de la pulsion que le choc du “ pubertaire ” a entrainé, l’amenant à une régression profonde. Dans un retournement/détournement de processus psychiques habituellement alliés de la vie, elle s’est abîmée dans le balancement entre satisfaction hallucinatoire et l’anéantissement vers le rien.

Le chemin de Louise nous permet de montrer les profondes ressemblances entre trajet mystique et trajet/travail du “ pubertaire ”.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 89-99.

Philippe Gutton : le paradoxe mystique

L’évolution mystique de Thérèse de Lisieux est examinée à partir du modèle de l’état d’illusion (selon l’approche de D. W. Winnicott). Ce dernier défini par sa paradoxalité “ Moi, non-Moi ”, “ vivre-mourir ”, est fragile sous la menace d’une injonction paradoxale. Toute son enfance, cette menace fut mise en acte par ce que Thérèse nommait après la mort de sa mère “ ses mamans ”. Enfance fort mouvementée qui se révéla mystique lorsque à l’adolescence ses tuteurs d’illusions se condensèrent en “ maman-Jésus ”. “ Conversion ” dit-elle, transfert bientôt consolidé par sa vocation de carmélite et sa doctrine.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 65-88.

Gérard Bonnet : mystique et conversion à l’adolescence

L’auteur aborde l’expérience mystique à partir de récits classiques tels que le mythe de la caverne et la conversion de Moïse pour éclairer des témoignages qui nous viennent de l’écoute analytique la plus courante. Il montre que l’expérience mystique est un moment intense, où le sujet éprouve en un éclair la sensation d’accéder à la jouissance idéale qu’il a imaginée follement dans l’enfance et s’y plonge avec délices sans savoir exactement de quoi il s’agit. C’est aussi le moment où lui reviennent douloureusement les failles et les ombres de ces expériences premières, et où il risque de s’y soumettre corps et âme tellement elles sont indissociables de la jouissance en question, s’adonnant à des symptômes, des addictions ou des passages à l’acte qui sont directement sous leur gouverne. C’est enfin et surtout l’instant où il est obligé d’assumer les conflits qui en résultent s’il veut faire la part des choses entre ces vécus exceptionnels dont il porte l’espérance au plus profond de lui-même et la réalité dans laquelle il est appelé à s’investir aujourd’hui.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 41-63.

Odile Falque : mystique du quotidien avec etty hillesum

La mystique, on ne peut pas en parler et on ne peut pas ne pas en parler. Elle consiste à rester dans l’illusion et la tension des paradoxes particulièrement la vie-la mort, à travers une reprise des processus d’adolescence qu’Etty Hillesum situe à partir de la puberté. Celle-ci renvoie à l’originaire et il s’agit d’en sortir. C’est tout l’enjeu de sa rencontre avec son psychologue, Julius Spier, rencontre tout d’abord érotisée, dans la transgression, puis idéalisée et sublimée, dans la découverte à la fois de la capacité d’être seul, de penser, de rêver, de prier, pour tous deux, chercheurs de Dieu.

L’expérience mystique s’enracinerait autour de la jouissance, la transgression et la mort.

“ Mystique du quotidien ” peut se dire dans l’économie psychique du sujet dans des mouvements d’hyperinvestissement libidinal, de désinvestissement et de réinvestissement dans la réalité du quotidien, qui apporte une énergie renouvelée, pour elle l’approfondissement et l’élargissement de l’espace psychique et spirituel, le souci des autres, la mission à accomplir et le témoignage à porter.

Tel a été le cheminement d’Etty Hillesum, mystique restée “ en marche ” vers la mort, la survie, à suivre dans son Journal, Une vie bouleversée, écrit entre 1941 et 1943, d’Amsterdam à Auschwitz.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 23-39.

Serge Lesourd : l’incontournable passion mystique de l’adolescent

Le temps psychique de l’adolescence confronte nécessairement le sujet à la désidéalisation des dieux infantiles, ceux que l’enfant se crée du fait de sa dépendance fondamentale. Or le lien social postmoderne a changé le statut des dieux sociaux, faisant de la passion mystique adolescente non plus une “ assomption ” symbolique de ceux-ci, sous la forme d’un Idéal du moi intériorisé, mais une “ incarnation ” dans la réalité des dieux qui soutient un moi-idéal en conformité avec la divinisation de l’humain que prône le libéralisme postmoderne. La passion mystique de l’adolescent prend donc des nouvelles formes dont témoigne la psychopathologie actuelle de l’adolescence.

Adolescence, 2008, T. 26, n°1, pp. 9-21.