Archives de catégorie : Enfermement – 2005 T. 23 n°4

Dominique Agostini : Mélanie Klein analyste d’adolescents : v. quelques conclusions

Ce texte clôture la série des articles « Mélanie Klein analyste d’adolescents ». L’auteur a, au cours de cette série, successivement étudié quatre cas d’adolescents. Trois furent des patients de Klein : « Félix », « Ilse » et « Willy » ont illustré les concepts d’objets internes, de fantasmes inconscients et de phase féminine commune aux deux sexes ; « Fabien Especel », le quatrième, était, quant à lui, un héros de roman fantastique dont Klein a exploré les identifications projectives.

Dans le cadre de cette conclusion, l’auteur revisite les conceptions kleiniennes des racines infantiles de la « puberté psychique » et de la théorie de la technique avec les adolescents. Ce faisant, il décrit certaines des idées nouvelles qui, fécondées par la pensée de Klein, se sont accomplies depuis la mort de celle-ci. Notamment les nouvelles manières de penser le couple transfert/contre-transfert à partir des explorations de la pulsion épistémophilique et de l’identification projective.

Philippe Bessoles : le crime adolescent. Criminogenèse et processus adolescens

En regard de plusieurs expertises médico-psychologiques d’adolescents criminels, nous proposons une contribution à l’étude de la criminogenèse. Le crime adolescent traduit les impasses du processus adolescens par une actualisation de l’originaire infantile. Les enjeux de violence criminelle révèlent les avatars du diptyque « séparation/individuation ». Le crime est un appel à la représentativité sur fond d’angoisses agonique et anaclitique. Il incarne une « figurabilité aliénée » selon la proposition de M. et E. Laufer mise en acte dans le crime en réponse à une situation vécue par le criminel comme déshumanisante.

 

En référence aux travaux de P. Aulagnier sur le principe d’auto-engendrement, nous proposons d’articuler la criminogenèse aux distorsions d’accordage mère/infans, aux défaillances du pare-excitations et des enveloppements psychiques primaires et aux caducités des réponses maternelles aux signes émis par l’enfant.

Catherine Wieder : écrire en prison

 

À travers le texte d’une adolescente de dix-neuf ans, incarcérée pour infanticide, l’auteur interroge la construction du sens dans un lieu qui n’a pas de sens et commente le passage de la non-représentabilité du fantasme inconscient à la non-représentabilité de l’écriture en passant par les représentations préconscientes.

Caroline Gimenez, Catherine Blatier, Martine Paulicand, Ondine Pez : délinquance des filles

 

En criminologie, la délinquance et la criminalité sont décrites comme des activités essentiellement masculines ; c’est là le constat qui ressort de nombreuses études. En outre, la majorité des recherches ayant tenté d’appréhender le phénomène délinquant se sont basées sur des échantillons de garçons et/ou d’hommes. De fait, peu de données sont disponibles sur la délinquance des filles. Notre étude propose un état des lieux de l’activité délictueuse d’un échantillon mixte de 241 mineurs, 168 garçons et 73 filles, vivant dans les agglomérations de Gap et de Grenoble.

Rémy Siret : être femme en prison… ?

L’incarcération produit une rupture des relations et une mise en suspens de l’avenir. Cette vacuité impose une interrogation identitaire qui revisite les termes de la question adolescente. Pour les femmes incarcérées, cela se traduira par la question « Qu’est-ce qu’être femme… en prison ? » avec les difficultés particulières que cela comporte et leurs expressions en détention.

Jean-Michel Permingeat : la détention dans l’ordonnance du 2 février 1945 : philosophie et pratique

Jusqu’au début des années 90, l’évolution législative et les pratiques judiciaires ont cherché à réduire l’emprisonnement des mineurs. Sans remettre en cause les principes directeurs de l’ordonnance du 2 février 1945, cette tendance s’est modifiée. La question se pose de savoir s’il est possible de prendre en compte, sur un plan éducatif, la période de détention dans le parcours d’un jeune.

Jean-Marc Dupuy : l’intervention de l’éducateur P.J.J. de milieu ouvert auprès du mineur incarcéré

Les nouvelles dispositions législatives traitant de la prise en charge des mineurs délinquants et les dispositifs qui en découlent, constituent une rupture et une régression par rapport à l’histoire de cette prise en charge depuis 1945, à l’apport théorique des sciences humaines sur ce sujet, à l’expérience professionnelle accumulée par les intervenants de terrain.

 

Le mode d’intervention de la Protection Judiciaire de la Jeunesse mis en place auprès des mineurs incarcérés illustre bien cette rupture et cette régression. L’éducateur en milieu ouvert et, à travers lui, l’institution Protection Judiciaire de la Jeunesse, doit y occuper une position complexe de tiers extérieur à l’institution pénitentiaire. Continuité de l’action éducative et extériorité du positionnement institutionnel sont inséparables et conditionnent la validité de cette intervention. Le retour de la notion de rééducation en opposition avec le souci de la prise en compte du sujet dans sa réalité psychique, son corollaire le retour de la Protection Judiciaire de la Jeunesse comme co-gérante de l’univers carcéral pour les mineurs, vont invalider ce positionnement et ses potentialités.

Antoine Hibon : pour une pédopsychiatrie d’inspiration analytique auprès des adolescents incarcérés

Cet article veut exposer et soutenir une recherche-action conduite depuis deux ans par une équipe pédopsychiatrique d’orientation analytique au « Quartier des mineurs » de la Maison d’arrêt d’Aix-en-Provence (effectif théorique de 33 adolescents). Cette équipe estime avoir réuni des éléments significatifs permettant d’énoncer qu’il est possible de nouer une relation à potentiel thérapeutique avec la quasi-totalité des adolescents incarcérés. Elle pense qu’une telle démarche requiert une méthodologie déontologique-technique déterminée articulée sur l’indépendance du Sanitaire par rapport au Complexe judiciaire-pénitentiaire.

Si l’on se réfère aux histoires le plus souvent fracturées de ces adolescents, à leurs troubles de la subjectivation, aux dangers qu’ils courent et font courir à autrui, à leur réticence à rencontrer des psychistes en dehors du contexte carcéral, on peut également lire cet article dans une dimension de Santé publique.

L’auteur décrit le cadre matériel d’exercice de l’équipe. Les entretiens se font sur les lieux même de la détention, au plus près des adolescents et des autres adultes intervenants (surveillants et enseignants en particulier). Ce cadre contribue à installer un transfert de base groupal des adolescents sur les psychistes, et un contre-transfert de base des psychistes sur les adolescents délinquants. Contradictoirement, cette proximité facilitant les rencontres, les rend également difficiles au plan de leur faisabilité, en excitant les différents niveaux de conflictualité entre l’équipe pédopsychiatrique et l’administration Pénitentiaire qui peuvent être repérés et progressivement traités.

Ce cadre matériel est le support d’une approche extensive (quasi-totalité) des adolescents incarcérés. Cette possibilité d’une approche extensive, et son potentiel thérapeutique, a été vérifiée par l’équipe à une certaine étape de la recherche. Il en est rendu compte par deux vignettes cliniques emblématiques en ce qu’elles concernent des adolescents de contacts et de fonctionnements psychiques particulièrement difficiles d’accès. Deux limites de l’approche extensive sont étudiées. La principale est mise en rapport avec la théorie winnicottienne de « la tendance antisociale » : les hausses de la démographie du « Quartier des mineurs » (au-delà d’un seuil de 20-25 adolescents) conduisent à un certain abandon d’adolescents qui bénéficiaient d’une offre de soins suffisamment continue, et cet abandon peut entraîner un rebond antisocial. Ainsi l’équipe doit-elle s’efforcer à fonctionner en dessous de qu’elle sait être possible et souhaitable, dans l’attente que des moyens supplémentaires lui soient donnés par des autorités de Tutelle qui ne sont pas à l’écoute.

L’étonnante ouverture à l’autre des adolescents incarcérés qui ont la plupart du temps refusé farouchement de rencontrer des psychistes en milieu ouvert, est éclairée par ce que l’auteur appelle « le versant soignant de la prison ». Ce versant soignant est décliné selon un modèle métapsychologique où les items s’enchaînent en un idéaltype : réintroduction de la dimension du Réel par l’arrestation-incarcération ; confrontation à une force étatique inébranlable pare-excitante externe ; diminution de la culpabilité inconsciente par l’expérience vécue de la sanction ; triangulation de fait par la Justice et l’administration Pénitentiaire de la relation mère-fils ; restauration des carences et des maltraitances par la face positive de la surveillance et de l’autorité. Une série de vignettes cliniques vient appuyer chacun des items. Une vignette montre la limite absolue du modèle, celle où la prison n’est pas tolérée, essentiellement du fait d’un sentiment de perte insoutenable. Les limites relatives (pouvant faire l’objet de réformes) du modèle sont évoquées. Le tableau catastrophiste des abolitionnistes (opposants à la prison pour les mineurs) est récusé au nom de l’expérience globale qu’a l’équipe des vécus et des évolutions des adolescents incarcérés.

L’exposé de la méthodologie déontologique-technique de l’équipe est précédé d’une analyse serrée des textes sanitaires, pénitentiaires et de la Protection judiciaire de la jeunesse, concernant ce qui est communément appelé la pluridisciplinarité dans les « Quartiers mineurs ». L’auteur établit que ces textes et les pratiques, en réalité monodisciplinaires, qui en découlent sont anti-déontologiques et anti-subjectifs. Il expose l’intérêt subjectalisant d’une méthode qui offre à l’adolescent un haut niveau de garantie de la confidentialité des entretiens, et son implication véritable dans d’éventuels contacts de l’équipe pédopsychiatrique avec ceux qui interviennent également auprès de lui.

L’idée courante de la nécessité de médiateurs indispensables aux psychistes pour aborder ces adolescents, est relativisée. L’équipe croit beaucoup au couple (ou au moins au binôme) thérapeutique qui assure une meilleure assiette transféro-contre-transférentielle que la relation duelle. L’hypothèse centrale est que ce couple fonctionne comme attracteur-réorganisateur des éléments de la « Scène primitive » trop chaotiques ou violents que le patient a dû cliver, voire forclore. Une vignette clinique montre cette technique à l’œuvre sous la focale grossissante de son utilisation selon des modalités particulièrement actives avec un adolescent difficile pour lequel on dispose d’un recul d’un an sur son évolution après son incarcération.

Des perspectives de la recherche-action sont développées. La position de l’équipe est précisée par rapport à la nouvelle donne que constituera la présence d’éducateurs de la « Protection judiciaire de la jeunesse » en continu au « Quartier des mineurs ». La question cruciale des moyens est à nouveau évoquée, en termes de suivi post-pénal indispensable, de formation d’Internes en Psychiatrie, et d’un travail d’étude comparative des approches pédopsychiatriques dans les « Quartiers des mineurs ».

 

Un appareil de notes important donne les principales références théoriques de la démarche, et permet des développements cliniques et métapsychologiques. L’auteur et son équipe sont conscients que les délinquances juvéniles et leurs traitements, sont l’objet de constructions socio-politiques, avec leurs relais médiatiques, qui pèsent d’un poids considérable sur les pratiques. Cet appareil de notes permet également au lecteur de prendre connaissance du contexte, de la tendance actuelle à un « tout carcéral » parfaitement contraire à une approche mesurée qui doit traiter sur le même plan les carences en moyen insupportables de l’activité du milieu ouvert, et l’amélioration des fonctionnements des « Quartiers des mineurs » existants. L’histoire du traitement des délinquances juvéniles a montré que toute embardée dans un sens était régulièrement suivie de démentis.

Philippe Gutton : l’insularité

 

Isoler est une affaire d’institution, s’isoler est un jeu sur la carapace interne/externe du « Moi-peau ». Toute décision concernant l’adolescent et toute prise en charge se situent dans cette complexité : l’extérieur, le perceptif apporte-t-il dans l’isolement assez de traces pour le penser, pour la capacité de rêverie c’est-à-dire pour continuer à faire son adolescence ?

Joëlle Bordet : la cité, lieu de refuge, un risque de fixation

En référence à nos travaux de recherches psychosociologiques et à plusieurs années d’entretiens réflexifs avec des adolescents, j’analyse comment la cité, espace de vie quotidienne et d’appartenance, constitue à la fois un lieu de refuge et un risque de fixation. Face à la stigmatisation, le groupe de pairs entre adolescents accueille et protège ; il représente aussi un risque d’enfermement à la fois psychique et de survie concrète. Sortir de la cité nécessite des démarches importantes faites d’échecs et de réussites. Tous quittent cette situation d’adolescents, les cheminements sont multiples, la référence à l’Islam en est de plus en plus une des modalités.