Jacques Maître : l’automutilation comme retour du religieux ?

L’objet de cette contribution est de repérer dans l’histoire du catholicisme des éléments dont l’écho peut se détecter quand nous analysons les automutilations adolescentes actuelles au sein de la société française. Pour l’Antiquité, on trouve la référence au martyre comme modèle d’ascèse ; pour le Moyen Âge, l’avènement du Christ gothique. Le rapprochement entre les textes anciens et les données actuelles de la clinique prendra tout son relief à la lecture des messages échangés au sujet des automutilations par les jeunes qui s’expriment sur les forums d’Internet.

L’héritage du passé catholique peut se lire dans les pratiques de flagellation, illustrées par les mortifications que s’infligeaient au XVIIe siècle Marie de l’Incarnation et son fils dom Claude Martin. Nous trouvons aussi l’inscription corporelle des stigmates de la Passion et l’anorexie mystique ; celle-ci préfigure, dans le cadre de la virtuosité mystique catholique, l’anorexie mentale qui en fournit une version sécularisée, tenue maintenant pour une des pathologies majeures de l’adolescence. Le lien entre les automutilations adolescentes et l’anorexie est bien connu en épidémiologie.

Dans le champ de la « post-modernité », les pratiques scarificatoires se rattachent d’une certaine façon au catholicisme médiéval à travers des courants tels que le « ghotik », notamment quand le chanteur Marylin Manson utilise comme emblème le tableau de Grünewald représentant la Crucifixion d’une façon quasi expressionniste. Les propos des jeunes qui s’adonnent à ces pratiques montrent une volonté de fuir un monde inhabitable. Il faut cependant bien distinguer les différents cadres institutionnels où vivent ces adolescents : famille, foyers d’accueil. En milieu carcéral, ce sont même des adultes qui s’infligent des scarifications et des brûlures pour « faire avec » leur détresse existentielle.

Enfin, cette réflexion aboutit à une question chère aux médias : assistons-nous à un « retour du religieux » ? Il s’agit au contraire d’une déperdition radicale de l’emprise exercée sur la population française par ce qui fut le « religieux » dominant d’autrefois, l’Église catholique. Le dogme sans cesse réaffirmé par le Magistère se trouve en manque croissant de crédibilité, ce qui permet d’en réemployer des éléments épars sans aucune adhésion au système dogmatique, comme on le voit avec la mode actuelle des relations personnelles avec l’ange gardien. Il en va de même avec le satanisme des jeunes gothiques. D’ailleurs, nous n’aboutissons pas à des cérémonies instituées, mais à des rituels privés qui constituent un cri de souffrance en appelant au paradis d’une écoute chaleureuse.